Les mousses, ces fascinants petits organismes verts


Dans Pôle muséal et culturel
Sophie Pittoors et Patrick Motte

Elles sont souvent discrètes et méconnues mais les mousses – ou Bryophytes – sont toutefois présentes partout autour de nous. La plupart du temps, elles nous indiffèrent voire nous contrarient quand elles s’immiscent dans la pelouse… Les mousses sont pourtant fascinantes pour qui décide de se pencher sur elles… 

Qu’est-ce qu’une mousse ?

Le terme vernaculaire mousse désigne un ensemble d’espèces végétales faisant partie d’un embranchement plus large appelé Bryophytes, avec les Hépatiques et les Anthocérotes. Il s’agit de plantes de petite taille, essentiellement terrestres, autotrophes et dépourvues de racines et de système vasculaire. La fonction d’ancrage au substrat/support – qui peut être très varié –, est assurée par de fins filaments nommés rhizoïdes, tandis que l’absorption de l’eau et des sels minéraux s’effectuent via les « feuilles » et les tiges ou le thalle. 

L’embranchement des Bryophytes se compose de 3 classes: les Anthocérotes (Anthocérotées), les Hépatiques et les Mousses (Muscinées). De nombreuses espèces appartiennent à ces classes pour atteindre : près de ~20.000 espèces dans le monde, ce qui fait des mousses le deuxième groupe de plantes terrestres le plus diversifié après les plantes à fleurs (Angiospermes).

Les Bryophytes peuvent se reproduire de manière asexuée (multiplication végétative) et sexuée. Cette dernière est caractérisée par une alternance de génération haploïde (possédant 1 seul jeu de chromosomes), productrice de gamètes (les cellules reproductrices), appelée pour cette raison gamétophyte et de génération diploïde (2 jeux de chromosomes), productrice de spores, appelée sporophyte. Les morphologies du gamétophyte et du sporophyte sont très différentes. C’est le gamétophyte qui est la plante verte autonome et qui consiste soit en un axe feuillé soit en thalle aplati. 

Leur présence sur Terre est très ancienne puisqu’elles seraient apparues il y a plus de 350 millions d’années. Ces végétaux ancestraux représentent la transition évolutive entre les algues et les plantes vasculaires. Bien qu’elles puissent généralement supporter une dessiccation importante, les mousses ne sont que partiellement affranchies du milieu aquatique dont elles dépendent pour leur développement et leur reproduction.

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Écologie et habitats

Les mousses ont colonisé quasi tous les biotopes terrestres existants. Seuls les milieux marins ainsi que les zones à l’aridité ou au gel extrêmes sont dépourvus de ces espèces végétales. Certaines ont regagné le milieu aquatique (Riccia fluitans par exemple). Les mousses se développent au sein d’une grande diversité de biotopes mais aussi d’habitats et de substrats et une même espèce peut en coloniser plusieurs. Elles peuvent aussi se retrouver de manière prépondérante dans certains écosystèmes comme par exemple les tourbières ou les forêts de nuages, ces forêts de montagne de zones tropicales, où l’humidité ambiante leur permet de couvrir entièrement et abondamment l’écorce du tronc et des branches des arbres. Elles se développent également dans les lisères forestières, les landes sableuses acides, les pelouses sèches calcaires, les marais ou encore dans les sous-bois, sur la base des troncs, sur les falaises, les rochers, et dans les prairies fraîches, dans ou à proximité des ruisseaux ou des étangs, sur les bois morts ou même sur le feuillage en milieu tropical.

Importance écologique des mousses

Les mousses sont importantes d’un point de vue écologique pour diverses raisons. Par leur capacité à coloniser certains milieux quelquefois uniquement minéraux, elles participent à la création de substrats aptes à l’installation d’autres espèces végétales. De nombreuses Bryophytes sont pionnières et peuvent coloniser des milieux dénudés. Leur prépondérance dans certains écosystèmes leur confère un rôle majeur dans les cycles biogéochimiques. Ainsi, les tourbières provenant majoritairement de la décomposition de sphaignes (des espèces de Muscinées) qui s’est accumulée depuis plusieurs millénaires, représentent à l’échelle de la planète plus de 1/3 des réserves fossiles de carbone ! Elles sont donc d’une importance majeure dans la régulation des changements du climat. Les tourbières jouent aussi un rôle tampon de par leur grande capacité d’accumulation de l’eau et diminuent donc les risques d’inondations mais aussi de sécheresses estivales en rafraichissant l’air par évapotranspiration.

720 espèces en Wallonie

La bryoflore wallonne se compose de 720 espèces. Un nombre assez élevé en regard de la taille de cette petite région d’Europe qui s’explique notamment par la diversité et la richesse des habitats que l’on y trouve.

Il n’est pas aisé de déterminer un statut de conservation global pour la population de Bryophytes en Wallonie. Bien qu’un tiers des espèces wallonnes soient considérées comme étant très rares, cette proportion n’est pas systématiquement le reflet d’une tendance au déclin. En effet, certaines espèces se portent mieux qu’il y a quelques décennies, ce qui s’explique par l’amélioration de la qualité de l’air ou de l’eau de quelques cours d’eau et de certaines zones. Tandis que d’autres accusent un déclin sévère notamment du fait de la raréfaction de leurs milieux de prédilection. En Wallonie, c’est le cas des espèces messicoles, impactées par les pratiques agricoles intensives.

Certaines espèces sont ubiquistes alors que d’autres sont inféodées à des habitats très spécifiques : diverses espèces sont considérées comme rares à l’échelle de la région du fait de la localisation très ponctuelle de leurs biotopes mais dont la population reste stable. 

Les mousses à l’Observatoire du Monde des Plantes

L’Observatoire du Monde des Plantes, jardin botanique de l’ULiège, possède une collection de Bryophytes originaires pour la majorité de la Belgique et du Nord de la France. Une collection unique en Belgique où une quarantaine d’espèces peuvent être observées. Cette collection a pour but de mieux faire connaitre ces végétaux terrestres, leur mode de vie ainsi que leur importance du point de vue écologique et en termes de services écosystémiques.

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D'excellents bio-indicateurs de la qualité de l'air et des modifications climatiques

De par leurs caractéristiques physiques, les Bryophytes sont d’excellents bio-indicateurs de la qualité de l’air et de l’eau. En effet, elles ne possèdent ni racines, ni cuticule et sont dépourvues de système vasculaire de conduction interne. Ainsi leur alimentation en eau et en nutriments s’effectue par le biais des précipitations atmosphériques. Elles sont donc directement exposées aux polluants dont les métaux lourds. Dès lors, et en utilisant des facteurs de conversion appropriés, les concentrations analysées dans les mousses peuvent être comparées aux teneurs en éléments traces dans les zones contaminées. Elles sont également de très bonnes espèces indicatrices pour l’évaluation écologique des modifications climatiques.

Des espèces fascinantes et très utiles 

En conclusion, il importe de prendre en compte la conservation de cette flore muscinale souvent négligée dans les programmes de restauration d’habitats ou de conservation de la biodiversité ou encore dans diverses études d’impacts environnementaux. Les mousses sont pourtant des espèces fascinantes et peuvent être de bonnes indicatrices de la qualité et du statut de conservation particulier d’un habitat. Elles sont des indicateurs de premier plan dans l’évaluation des changements climatiques et ont une grande importance écologique.



Les auteurs

Patrick Motte est président de l'asbl Espaces botaniques de l'Université de Liège, qui gère l'Observatoire du Monde des Plantes. Il est professeur au Département des Sciences de la vie, où il dirige l'unité de Génomique fonctionnelle et imagerie moléculaire. Il est co-auteur de l'ouvrage Fascinantes adaptations du monde végétal,  espaces botaniques de Liège, 2020.

Sophie Pittoors est biologiste, chargée de la gestion et du développement des collections botaniques de l’Observatoire du Monde des Plantes. Elle a aussi pour tâche d’y développer les projets pédagogiques et de diffusion des sciences liées à l’environnement. Elle est co-auteure, avec le Pr Patrick Motte, de l'ouvrage Fascinantes adaptations du monde végétal, espaces botaniques de Liège, 2020.

 

Les collections de l'Observatoire du Monde des Plantes

L'observatoire du monde des plantes en vidéo

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Toutes les photos : © Patrick Motte

 

Inspirations bibliographiques

Sotiaux, A. et Vanderpoorten, A. 2015. Atlas des Bryophytes (mousses, hépatiques, anthocérotes) de Wallonie (1980-2014). Publication du Département de l’Étude du Milieu Naturel et Agricole (SPW-DGARNE), Série « Faune – Flore – Habitats » n°9, Gembloux, Tome I, 384 pp. et Tome II, 680 pp.

Jahns Hans Martin, Fougères, mousses et lichens, plus de 650 espèces de France et d’Europe.Delachaux et Niestlé, Paris, 2016.

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