Le goniomètre de Giuseppe Cesàro


Dans Le magazine
Pr Frédéric Hatert, Directeur du Laboratoire de Minéralogie et cristallographie

À partir de 1891, Giuseppe Cesàro occupe la chaire de minéralogie et cristallographie à l'Université de Liège. Son goniomètre lui a permis de réaliser les travaux scientifiques qui ont construit sa renommée internationale. L'instrument est désormais exposé dans la salle Cesàro.

Le Professeur Cesàro   

Giuseppe Cesàro (1849-1939) peut être incontestablement considéré comme le fondateur de l'école de Minéralogie de l'Université de Liège. Né à Naples en 1849, il s'expatria à Liège à l'âge de 17 ans pour y suivre les études d'ingénieur à l'École des Mines, qu’il abandonna après la candidature, jugeant que les démonstrations et formules mathématiques approximatives enseignées manquaient de rigueur. Il continua ses études personnelles, se consacrant aux mathématiques, à la cristallographie et à la minéralogie. Brillant mathématicien, il fut choisi comme précepteur du Prince Léopold III durant la première guerre mondiale, mais son amour inconditionnel des minéraux et de leurs formes régulières le poussa vers sa véritable vocation, la minéralogie.

Dès le plus jeune âge, il fut attiré par les minéraux collectés sur les pentes du Vésuve, ce qui l'amena à suivre, au cours de ses temps libres à Liège, les enseignements de Minéralogie du Professeur Gustave Dewalque. La maturité scientifique exceptionnelle dont témoignèrent ses premières publications incita Gustave Dewalque à lui proposer les charges de minéralogie et de cristallographie à l'Université de Liège en 1891 ; il occupera cette chaire durant plus de trente ans (Anceau et al., 2017).    

D'un grand charisme et particulièrement respecté et admiré des étudiants, son enseignement didactique reflétait sa passion pour les morphologies cristallines, comme en témoignent ses notes de cours dont la version de 1891 nous offre de splendides dessins à main levée. 

 

Figure 1(1)

Dessin du trapézoèdre selon Cesàro (1891)

 

En hommage à leur enseignant, ses étudiants lui offrirent, à l'occasion de son quatre-vingtième anniversaire, une peinture magistrale de 2 mètres 50 de hauteur, de la main du peintre liégeois Joseph Damien lors d’une cérémonie organisée à l’Université, présidée par le Prince Léopold, alors duc de Brabant. Cette œuvre représente le Professeur Cesàro debout, appuyé sur une table recouverte de minéraux et d'instruments de minéralogie.

portrait de Cesaro

Peinture magistrale de G. Cesàro, debout devant une table couverte de minéraux et d'instruments.
Cette photo ne représente que la partie centrale de l'œuvre du peintre Joseph Damien, réalisée en 1929. 
 

Parmi ces échantillons, on peut reconnaitre une splendide amazonite d'Arizona, qui se trouve encore actuellement dans les collections du Laboratoire de Minéralogie.    

Figure3

Détail du portrait de Cesàro, montrant trois échantillons de minéraux exceptionnels,
parmi lesquels on peut aisément reconnaître l'amazonite photographiée à droite (échantillon ULiège 11691). 

 

Les contributions scientifiques du Professeur Cesàro ont été nombreuses, démontrant une maîtrise qui assura se renommée bien au-delà de nos frontières. Les correspondances qu'il entretenait avec ses pairs, notamment Georges Friedel et son élève Henri Ungemach, Alfred Lacroix et Gerhard vom Rath, attestent de l'aura internationale du scientifique.

L'empreinte de Cesàro, teintée de cristallographie géométrique, est la marque caractéristique de l'école de Minéralogie de Liège qui se singularise, toujours aujourd'hui, par un enseignement rigoureux et des publications de haut niveau en cristallographie minéralogique. Cette expertise, qui n'est maîtrisée que par quelques rares instituts au monde, est à l'origine de la notoriété internationale de la minéralogie liégeoise.  

L'histoire du goniomètre disparu… puis retrouvé !     

Les magnifiques cristaux de calcite de Rhisnes, dont l'étude détaillée permit à Cesàro de découvrir la morphologie de l'isoscéloèdre (double pyramide hexagonale ; voir Warin & Hatert, 2018), sont actuellement conservés dans les collections de Minéralogie du Pôle Muséal et Culturel de l'ULiège. Sur certains de ces cristaux, on peut voir des faces cristallines annotées de la main même de Cesàro. 

Afin de déterminer la nature de ces faces, il était nécessaire de mesurer précisément l'angle entre leurs normales, et cette mesure s'effectuait à l'aide d'un appareil appelé goniomètre. Celui de Cesàro était un goniomètre à réflexion dit de Wollaston.  

À la fin de 19e siècle, et jusqu'à la découverte de la diffraction des rayons X par Max von Laue en 1912, les seules méthodes d'étude des cristaux étaient les méthodes d'analyse chimique, les mesures optiques, et l'observation de leur morphologie externe. Le goniomètre était donc l'outil principal des minéralogistes et des cristallographes. Sans cet instrument, Cesàro n'aurait pu réaliser aucun des accomplissements scientifiques qui ont construit sa renommée.  

Le goniomètre de Giuseppe Cesàro, instrument d'importance patrimoniale incontestable, était conservé au Laboratoire de Minéralogie par le Professeur André-Mathieu Fransolet, jusqu'au début des années 1990. À cette époque, il prit l'initiative de le remettre au Centre d'Histoire des Sciences et Techniques (CHST) de l'Université, dont était responsable le Pr Robert Halleux. L'instrument fut ainsi conservé parmi d'autres objets scientifiques. Mais suite à des déménagements successifs, sa trace fut perdue. 

La création de la salle Cesàro, au coeur du Laboratoire de Minéralogie et Cristallographie, destinée à mettre en valeur les pièces historiques remarquables des collections, nous incita en 2017 à rechercher activement le fameux goniomètre. Geneviève Xhayet, alors responsable du CHST, nous autorisa une visite détaillée de ses collections, en compagnie de Ludovic Baumsteiger. 

Le goniomètre recherché était, pensions-nous, un instrument prestigieux, vraisemblablement de grande taille. Or rien, dans les collections, ne correspondait à cette description. Malgré tout, un joli petit goniomètre de minéralogie fut découvert, ancien et cuivré, tout récemment inventorié dans les collections du Pôle muséal et culturel après la cessation des activités du CHST sous le numéro CHST2019-000032. Cet instrument si modeste ne pouvait certainement pas être le goniomètre du célèbre minéralogiste…   

goniomètre

Le petit goniomètre de minéralogie inventorié CHST 2019-000032

 

Quelques semaines plus tard, Ludovic Baumsteiger observa l'instrument plus attentivement, et le photographia. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir, sur l'envers du goniomètre, la délicate signature de Cesàro, dont la belle calligraphie est si caractéristique. Nous avions donc bel et bien retrouvé le goniomètre de l'illustre minéralogiste liégeois ! 

signature

Face inférieure du goniomètre CHST 2019-000032, où l'on peut distinguer la signature de Giuseppe Cesàro
 

En 2021, la conservation et la valorisation des pièces émanant de l'ancien CHST ont été confiées à la Maison de la Science. L’idée d’un retour, sous forme de dépôt muséal, du goniomètre dans le Laboratoire de Minéralogie a rapidement germé. C’est ainsi que, fin 2021, Hervé Caps, directeur de la Maison de la Science, a remis officiellement cet instrument à Frédéric Hatert, pour qu’il trône désormais dans une des belles vitrines de la salle Cesàro, au B18 (Sart Tilman). 

salle Cesaro

Le goniomètre de Cesàro dans son nouvel écrin, la salle de minéralogie éponyme qui expose les collections de minéraux historiques de l'ULiège. 

 

Nous tenons à remercier vivement toutes les personnes qui ont participé à cette aventure, et nous invitons à venir visiter notre magnifique collection de minéraux, visible au B18 sur demande (fhatert@uliege.be) et exposée en partie dans une salle de la Maison de la Science à Liège. 

Frédéric Hatert
Hervé Caps et Ludovic Baumsteiger

Les collections du Laboratoire de Minéralogie 

Les collections de minéralogie en vidéo

 

 

Les auteurs

Frédéric Hatert est professeur de Minéralogie. Il dirige le laboratoire de Minéralogie et de Cristallographie de l'ULiège

Hervé Caps est professeur d'Optofluidique au Département de Physique de l'ULiège. Il est directeur de la Maison de la Science.

Ludovic Baumsteiger collabore aux travaux d'inventorisation et de conservation des collections universitaires


Références

Anceau, A., Prestianni, C., Hatert, F. & Denayer, J. (2017). Les sciences géologiques à l'Université de Liège : deux siècles d'évolution. Partie 1 : de la fondation à la Première Guerre Mondiale. Bulletin de la Société Royale des Sciences de Liège, 86, 27-101. 

Cesàro, G. (1891). Cristallographie et Minéralogie. Cours donné par G. Cesàro à l'Université de Liège. Imprimeur Aug. Bénard, Liège, 104 p. 

Warin, R. & Hatert, F. (2018) Giuseppe Cesàro aimait les calcites. Le Règne Minéral, 141, 45-52.

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